La femme fatale [Poche]

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Extrait
Introduction :

Elle rit. Elle envoie des baisers. Elle chante même, La Marseillaise a cappella. Pour un peu, on la croirait victorieuse. Elle vient pourtant d'être défaite dans un score sans appel : seuls 46,94 % des Français ont voté pour elle, ce dimanche 6 mai. Ses groupies crient toujours son prénom, «Ségolène». Ils la veulent «présidente». Et c'est une chose étrange que de voir ce sourire radieux nier la réalité politique du moment.
À quelques pas de là, rue de Solférino, François Hollande semble attendre son jugement. C'est peu dire qu'il a longtemps redouté cette heure de vérité. Depuis longtemps, pourtant, il a vu se profiler la défaite. Il sait que, aux yeux de tous les cadres socialistes, inquiets de la rude campagne des législatives qui s'annonce, il est tenu autant - voire davantage -responsable de cet échec que sa compagne. Pendant que «Ségolène» savoure ses derniers vivats, il entend déjà les couteaux qui s'aiguisent dans son dos.
Si l'on veut comprendre cette incroyable histoire, il faut revenir quelques mois en arrière. Lorsque chacun répétait comme une antienne, au siège du PS : «La gauche ne peut pas perdre.» Cinq ans auparavant, le 21 avril 2002 avait sonné comme un «coup de tonnerre» dans le ciel politique français. Pétri de mauvaise conscience après cette éviction du second tour du combat présidentiel, tous en étaient sûrs, le «peuple de gauche» se mobiliserait et voterait «utile» dès le 22 avril. Les émeutes des banlieues, à l'automne 2005, la mobilisation de la jeunesse contre le CPE, au printemps 2006 favoriseraient la gauche. Quant à la bonne vieille règle de l'alternance, toujours vérifiée depuis 1974, elle condamnerait la droite. Comment Nicolas Sarkozy, ministre du gouvernement sortant, pouvait-il incarner le changement ?
C'est avec cette certitude bien ancrée que les socialistes ont cru qu'ils pourraient faire l'économie d'une rénovation entreprise depuis longtemps par les autres pays d'Europe. Et c'est dans ce contexte qu'a surgi Ségolène Royal, candidate improvisée d'une course à la présidentielle pour laquelle se préparait depuis longtemps son compagnon.
Mais les défaites portent aussi, souvent, leur part de mystère. Celle de 2007 n'échappe pas à cette règle. Sur la scène publique, on a vu un parti en souffrance. Dans la coulisse, se déchirait aussi un couple. D'un côté, un homme prévisible, attaché, depuis dix ans qu'il dirige son parti, aux alliances classiques et aux dogmes de la gauche. De l'autre, une femme insaisissable et secrète, solitaire mais capable de s'attacher la ferveur populaire : fatale, en un mot. Avec eux, la politique est devenue, le temps d'une campagne, résolument romanesque, nourrissant une de ces sagas que seuls les Français savent vivre et inventer. --Ce texte fait référence à l'édition Broché .
Biographie de l'auteur
Raphaëlle Bacqué, auteur de Chirac ou le démon du pouvoir, et Ariane Chemin, coauteur de La nuit du Fouquet's, sont grands reporters au Monde.